L’abus de liberté d’expression en milieu professionnel : le cas des SMS envoyés depuis un téléphone d’entreprise
En entreprise, la liberté d’expression des salariés est protégée par le droit du travail. Cependant, elle n’est pas absolue : lorsqu’elle dépasse certaines limites, elle peut justifier des sanctions disciplinaires, voire un licenciement. Une récente décision de la Cour de cassation éclaire les contours de cette problématique, notamment lorsque des propos critiques ou injurieux sont diffusés via des moyens professionnels, comme des SMS envoyés depuis un téléphone fourni par l’employeur.
Une affaire révélatrice des tensions entre liberté d’expression et obligations professionnelles
Dans cette affaire, un cadre supérieur employé en tant que « Business Unit Manager » et conseiller du président d’une entreprise a été licencié pour faute lourde. L’employeur reprochait à ce salarié d’avoir tenu des propos critiques et dénigrants à l’encontre de la société et de ses dirigeants. Ces propos, échangés par SMS sur un téléphone professionnel, visaient notamment à désigner certains collègues de manière péjorative et à tourner en ridicule certaines procédures internes.
Le salarié contestait son licenciement en affirmant que ses échanges relevaient d’un cadre privé, qu’ils n’étaient pas destinés à être rendus publics, et qu’ils ne pouvaient donc être retenus contre lui.
Les juges tranchent : contexte restreint ou non, l’abus est établi
La Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel. Elle a jugé que :
- La liberté d’expression d’un salarié est protégée sauf en cas d’abus, caractérisé par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.
- Peu importe que les propos litigieux aient été diffusés dans un cadre restreint ou à une seule personne : dès lors qu’ils excèdent les limites acceptables, ils constituent un abus de la liberté d’expression.
Des SMS envoyés via un téléphone professionnel : pas de caractère privé
Un autre point central du litige concernait la nature privée ou professionnelle des messages échangés. La Cour a établi que les SMS envoyés depuis un téléphone professionnel bénéficient d’une présomption de caractère professionnel, surtout lorsque leur contenu est en lien direct avec l’activité de l’entreprise.
Ainsi, malgré l’argument du salarié selon lequel ces messages relevaient d’échanges personnels, leur contenu et le moyen utilisé (un téléphone fourni par l’employeur) ont suffi à les qualifier comme des éléments pouvant être utilisés à des fins disciplinaires.
Ce qu’il faut retenir : liberté d’expression et responsabilité en entreprise
Cette affaire illustre une réalité importante : la liberté d’expression, bien qu’un droit fondamental, n’est pas illimitée en entreprise. Les juges se montrent intransigeants dès lors que des propos tenus :
- Sont injurieux, diffamatoires ou excessifs.
- Portent atteinte à l’entreprise ou à ses dirigeants, même dans un cadre restreint.
- Sont diffusés via des outils professionnels, qui engagent la responsabilité de l’employeur.
Recommandations pour les employeurs et les salariés
Pour les employeurs :
- Précisez dans le règlement intérieur ou la charte informatique que les outils professionnels sont soumis à un usage majoritairement professionnel.
- Encadrez les règles de conduite et sensibilisez les salariés sur les limites de la liberté d’expression dans un cadre professionnel.
Pour les salariés :
- Faites preuve de prudence dans vos échanges, même en privé, lorsqu’ils impliquent des outils mis à disposition par votre employeur.
- Évitez tout propos pouvant être perçu comme injurieux ou dénigrant à l’égard de l’entreprise ou de ses collègues.
Une vigilance accrue dans un contexte numérique
Avec l’usage croissant des outils numériques au travail, cette affaire rappelle la nécessité de bien distinguer les sphères privée et professionnelle. Elle pose également des questions importantes sur le droit à la vie privée des salariés et l’encadrement juridique des preuves utilisées dans les contentieux.
Les professionnels, qu’ils soient employeurs ou salariés, gagneraient à mieux connaître les contours juridiques de ces questions pour éviter les écueils et préserver un environnement de travail respectueux et équilibré.